Nominé aux Luminas dans la catégorie « recherche universitaire » pour son étude sur l’architecture tropicale bioclimatique, Thibaud Duval est un jeune architecte martiniquais insérer dans son terroir. Bien que ce jeune Martiniquais ait effectué l’essentiel de son cursus à l’École Nationale Supérieure d’Architecture de Bretagne, à Rennes, c’est lors de ses séjours dans diverses capitales européennes que le jeune homme s’est décidé à se recentrer sur l’architecture de son pays. Thibaud se décrit lui-même comme un Antillais convaincu, un rêveur et un utopiste qui désire ardemment revenir travailler dans son pays.
Questions/Réponses
Pourquoi avoir choisi l’architecture ?
J’avais 8 ans quand j’ai décidé de devenir architecte, bien que n’ayant pas de raisons particulières à cette époque, cela se confirma après mes premières années d’études. D’entrée il me fut difficile de m’adapter à un nouveau paradigme en Bretagne. Il nous était enseigné une architecture que je n’utiliserais sans doute jamais mais cela m’a permis d’avoir une autre ouverture sur le monde tout en appréciant davantage mon île natale.

À présent, mon souhait est de revenir au pays dans ce domaine important. J’aime croire qu’un bâtiment puisse changer une société. J’ai effectué divers stages avec différentes équipes et deux grands architectes en Martinique qui travaillent notamment sur le bioclimatique dans les milieux humides. J’ai voulu comprendre le contexte (l’histoire, les facteurs socio-économiques, les enjeux démographiques, etc.) avant de proposer des solutions. Cela m’a permis de m’interroger sur l’esthétique, les matériaux (le béton à partir de cendres de bagasse telles que testées au Brésil) à utiliser et les filières économiques pouvant être créées en Martinique. Cela permet de rêver et de changer les mentalités. Je souhaite créer des villes endémiques qui ne seront pas construites sur un modèle occidental mais en lien intrinsèque avec notre environnement.
L’architecte que je suis se doit de se poser les bonnes questions. « Si j’ai envie de rentrer au pays, je dois apporter ma pierre à l’édifice. »
Qu’est-ce que l’architecture tropicale bioclimatique et qu’elles en sont les implications dans le contexte antillais ?
Afin de revenir à la Martinique, il faut établir le contexte de base, à savoir que nous sommes sur un espace balayé par les alizés d’Est en Ouest toute l’année, qu’il y n’a que deux saisons (l’une humide et l’autre sèche), des phénomènes cycloniques, des séismes ainsi que des nuisances dues aux algues brunes (les sargasses). En général, il faut toujours chercher à répondre à cette question : comment poser intelligemment un projet sur son site ? L’architecture tropicale que je souhaite se veut interrogatrice d’un tel contexte. Un projet d’édifice pour Sainte-Luce ne peut pas correspondre à un autre pour Saint-Pierre. Il faut donc réfléchir à la ventilation des habitations pour chercher à réduire l’usage de la climatisation, de la disposition des entrées d’air afin de créer une circulation, de la taille des fenêtres, etc.
Avant de se consacrer au cas concret sur lequel tu as travaillé sur ton Mémoire, comment penses-tu rendre accessible à tous ce type de logement ?
Le coût reste l’un des principaux freins, néanmoins cela peut être nuancé. Quand vous posez votre maison sur des isolateurs sismiques, la facture n’augmentera que de 10 %. À ce moment-là, il faut se poser les bonnes questions car, potentiellement, une maison non isolée est une maison à reconstruire dans 20 ou 30 ans. C’est compliqué à faire passer ! Aujourd’hui près de 60 % des édifices ne seront pas faire face au Big One (le tremblement de terre de forte magnitude prédit par les scientifiques).
Peux-tu nous parler du projet de bâtiment sur lequel tu as travaillé sur ton Mémoire ?
Situé à Fort-de-France, sur l’ancien site de la Messagerie de la Poste, j’ai envisagé un bâtiment mixte qui réunisse plusieurs programmes dont la Cité du Rhum et le Musée de la Voile Traditionnelle. À partir de cette analyse, j’ai constaté que le bâtiment se situe à la jonction entre 4 points de la ville : la ville basse, la ville haute avec les HLM des Hauts du Port, l’éco quartier Bon Air, et le port. Ce projet devait s’inscrire dans le plan d’aménagement de la ville en créant une passerelle des espaces maritimes et culturels.

En matière de contrainte, cette zone est classée en zone inondable, ce qui implique que la partie du musée ne soit pas en RDC. J’ai repris l’esprit des maisons traditionnelles avec les galeries qui protègent le noyau de vie de l’édifice et en permettant au vent de traverser l’édifice pour le rafraîchir tout en le protégeant de la pluie. En matière de ventilation, j’y ai installé quatre grands puits de ventilation qui, dans le même temps, permettaient aux visiteurs d’observer différents espaces.

La surélévation du bâtiment permet de créer un vide sanitaire pour protéger l’édifice des inondations tout en servant de carbet sous lequel des animations connexes (festivals culturels, etc.) pourraient se dérouler. Par ailleurs, le toit de l’édifice deviendrait un belvédère urbain pour admirer la capitale foyalaise.

Avec cette approche en accord avec la situation de ton projet de construction, peux-tu nous dire s’il existe des éléments architecturaux traditionnels qui demeurent mobilisables dans de nouveaux projets ?
Selon mon humble avis, c’est davantage le mode de vie qui inspire la technique, notamment, notre rapport à l’extérieur et la façon dont cet espace sera occupé. Au niveau architectural, je pense aux persiennes aux claires-voies et aux jalousies. Elles filtrent le soleil tout en permettant au vent d’y pénétrer. À l’instar du pare-soleil, ce sont des innovations qui n’en sont pas, car elles existent depuis des siècles et conservent tout leur intérêt. Sur les matériaux, il est possible de prolonger, à la base, la réflexion sur les constructions mixtes en bois et en béton. Les innovations ne doivent pas dénaturer le caractère tropical de l’édifice. C’est la relation entre l’ancien et le nouveau qui entre en jeu parce que tous les éléments ne méritent pas d’être reproduits. Dans les maisons coloniales, notamment, leur plan carré ne leur permettait pas de tirer suffisamment avantage des vents.
Le mot de la fin
Un rêve s’est réalisé en juin, celui d’être enfin devenu architecte. Maintenant, des questions demeurent. Les Antillais, les concepteurs, les architectes vont-ils ouvrir les bras à cette jeunesse qui veut revenir au pays ? Cet article est un appel du pied !
Le point phare de notre architecture demain concernera surtout la mentalité des concepteurs. Ils doivent retrouver une place d’interprètes de rêves, en spatialité, et non prendre la stature d’artistes imbus d’eux-mêmes. Pour ce faire, il faut redonner l’architecture au peuple, et redonner son architecture aux îles.
Ce travail se veut être un postulat qui permet d’une façon globale de définir les éléments de l’aménagement du territoire aux Antilles françaises. C’est un appel au réveil collectif, une genèse positive d’une architecture créole fière de ses origines, voguant en toute quiétude vers son avenir. Soyons réalistes, mais toujours en repoussant les limites du possible…

Contacts :
Thibaud Duval
Email: thibaud.duval@rennes.archi.fr Numéro: +33781797343
Mémoire : https://issuu.com/
thibaudduval972/docs/thibaud_duval_m_moire_2019
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