Martin Klôwè-Bordeaux
Victor DORDONNE est un jeune martiniquais de 22 ans. Ayant baigné depuis sa plus tendre enfance dans le secteur du vivant et de l’agriculture, il a effectué une terminale S (Scientifique) spécialisée dans les SVT (Science de la Vie et de la Terre) au lycée de Bellevue. De par les activités de ses parents, Victor reconnait avoir pris conscience de la précarité, ce qui l’a amené à la question de l’autosuffisance alimentaire via l’agronomie. Son bac en poche, il intègre une prépa de deux ans de proximité BPCST (Biologie, Physique Chimie, Sciences de la Vie et de la Terre). Il est accepté sur concours à Bordeaux Sciences Agro où il poursuit une formation pour devenir ingénieur, quand il ne travaille pas pour l’entreprise Biocoop.
Il évoque avec nous sa formation dans les métiers du vivant, ses nombreuses expériences à l’étranger et ses futurs projets.
Questions/Réponses
À quoi ressemble l’enseignement dans une classe préparatoire aux grandes écoles BPCST ?
La prépa donne un socle de connaissances scientifiques qui va comprendre la biologie, la physique chimie, la philosophie ainsi que des cours de langues.
Durant la première année à Bordeaux l’on apprend le « monde agricole », c’est-à-dire l’ensemble des acteurs qui vont être amenés, de la fourche à la fourchette, à intervenir dans la production, la transformation et la commercialisation des produits agricoles. Durant cette année on développe des compétences en gestion de données informatiques, en statistiques, la production de rapports en français et en anglais, ainsi que des bases en comptabilité et en gestion.
Tu as suivi une formation en permaculture à la Barbade il y a quelques années ?
J’avais intégré le CPRI (Caribbean Permaculture Research Institute of Barbados) où j’ai acquis des notions en écoconstruction ainsi qu’en permaculture avec à la clé un diplôme. C’était un stage d’une semaine très formateur. Il y a un mouvement slow food qui se développe, et à l’époque il n’y avait pas assez de producteurs pour satisfaire une demande grandissante en produits agricole de qualité. La question de la sécurité alimentaire se posait aussi, vu le caractère insulaire de la Barbade.
Peux-tu revenir sur ton année d’Erasmus au Brésil ?
Je me suis retrouvé à Florianópolis, sur une île au Brésil, un peu par défaut ; je souhaitais initialement aller en Argentine mais j’ai appris que les cours y seraient très théoriques. Là-bas j’ai été séduit par le côté nature et leur département d’agroforesterie. C’était un secteur que j’avais déjà découvert en France ; il faut savoir qu’il y a eu beaucoup de transfert de technologie du Brésil vers la France. C’était des cours à la fois théoriques et pratiques.
Les étudiants là-bas étaient aussi très divers (bien que 200 Erasmus pour 70 000 étudiants), après les étudiants étaient originaires de toutes les régions du pays
Qu’est-ce que l’agroforesterie ?
Quand on regarde dans tous les milieux naturels, ce que l’on appelle le climax (à savoir l’état de développement ultime du milieu naturel) c’est un milieu forestier, mis à part les déserts et les toundras. Que ce soit en milieu tempéré ou aux tropiques c’est la forêt qui domine, il y a toujours eu des forêts. Par exemple, à l’origine les vaches vivant en forêt, il y a tout une adaptation des animaux ainsi que de la biodiversité autour des arbres.

Si on réintroduit des arbres dans les exploitations agricoles naturellement, on réintroduit de la biodiversité et donc la vie. Cela permet de lutter contre les maladies, les ravageurs et les propagations de nouveaux virus. On se rend compte que quand on plante des arbres à une certaine distance, la diminution du rendement, de par l’ombre créée par les arbres est minime

Tu peux, grâce à cela, augmenter ton rendement et donc tes capacités financières tout en mitigeant le risque. Il est possible de lancer l’exploitation de bois sur des parcelles agricoles en augmentant les rendements des cultures et de la production de bois. La biodiversité va augmenter, de même par leurs racines les arbres vont permettre de limiter le ruissellement et prévenir les glissements de terrain. Dans le même temps les arbres permettent de stabiliser les cours d’eau et favorisent la tombée de la pluie par les molécules qu’ils dégagent. Cela structure le sol. Pour moi l’agroforesterie c’est réintroduire des choses à leur place d’origine de façon réfléchie, afin qu’économiquement cela soit viable.
Le Brésil ne brille pourtant pas en matière de gestion des forêts. Qu’est-ce qui explique cette avance Brésilienne ?
Évidemment ce n’est pas partout au Brésil, c’est un pays à l’échelle d’un continent. Maintenant là-bas l’agroforesterie est développée par des chercheurs et des scientifiques qui prouvent aux pouvoirs publics que cela peut être intéressant à développer. Bien que ça ne soit pas encore une volonté politique, quand ils se rendront compte qu’ils ne pourront faire plus de profit ça ne tardera pas. Au Vietnam les expériences d’agroforesterie leur ont permis de multiplier leurs revenus par cinq chez certains agriculteurs.
Comment y es-tu arrivé et en quoi consiste ton travail au sein de la Biocoop ?
Étant un client régulier de la Biocoop, et ayant besoin de financer la prochaine étape de mon parcours, j’ai pu obtenir un poste en tant qu’employé polyvalent. Donc je m’occupe des choses de base liées à la tenue d’un commerce comme du réapprovisionnement, du facing, tenir une caisse, conseiller des clients etc.

Par la suite j’ai proposé des améliorations sur certains points. Je réfléchissais à comment je pourrais apporter de la valeur dans le processus, et pas simplement gagner plus d’argent. Maintenant les gens veulent ressentir de la valeur dans tout le processus, afin qu’il y ait vraiment une expérience gratifiante. Concrètement cela passe par de la confection de jus à partir de fruits et légumes déclassés, l’utilisation de récipients réutilisables, réfléchir à la fidélisation de la clientèle à travers la dynamique environnementale. J’aimerais lancer des infusions à emporter, en amenant les gens à consommer des herbes aromatiques locales en vrac.

En quoi des compétences commerciales peuvent t’être utiles ?

Selon moi, on ne peut pas dissocier ce qui se fait sur le plan agronomique de ce qui se fait sur le plan économique. Si techniquement il y a une nouvelle technique, mais dix fois plus chère que la précédente, sans dix fois plus de créations de valeurs cela n’a pas d’intérêt
Ton projet de césure au Brésil à nouveau puis en Inde.
Dans un premier temps, il s’agit pour moi d’acquérir plus de pratiques, approfondir ma compréhension de l’agroforesterie afin d’être certain que cela me plaise vraiment. Dans le cas de l’Inde, c’est parce qu’il y a une forte demande, les gens attendent que soient mises en place ces techniques. La consommation de fruits est très faible en raison des coûts et de la pauvre production fruitière, ça pourrait pallier certains problèmes de santé, tels que les carences en vitamines. C’est cet aspect global que l’on travaille à la Biocoop, qui permet d’être à la fois dans la conception et dans la mise en application qui m’intéresse. Mon travail en Inde sera dans le cadre d’une ONG de préférence.
Quels sont tes projets futurs ?
Dans dix ans je me vois bien en Inde développer des choses sur cent mille, trois cents milles hectares où nous pourrons faire du bien à beaucoup de gens. Après je reste ouvert à développer des choses en Martinique, mais ma priorité est d’agir où je peux avoir le plus d’impact, l’Inde c’est près d’un milliard de personnes à nourrir.
Le mot de la fin
Selon moi, il faut vraiment s’informer soi-même et ne pas rester fermé. Prendre le temps de voir ce qui se passe dans le monde, avoir de l’audace et de la ténacité pour faire de ses rêves une réalité.
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